Un articlé rédigé par Fortunat N. Nadima , Avocate, Norton Rose Fulbright Canada

Les projets d’innovation sont coûteux et risqués, de là la nécessité de s’associer parfois avec d’autres. En effet, les créateurs et les innovateurs ne sont pas toujours les mieux placés pour commercialiser leurs actifs de propriété intellectuelle (PI). Il peut être plus avantageux pour eux de tirer des revenus de leurs innovations et de leurs actifs de PI en ayant un titulaire de licence tiers qui investit des capitaux et de l’expertise et qui partage une partie du risque lié à leur intégration dans des produits, des services ou des procédés viables sur le plan commercial. Pour établir de tels partenariats, il faut comprendre le fonctionnement des redevances.

Qu’est-ce qu’une redevance?

Une redevance est une somme d’argent payée en échange de l’utilisation d’un actif de PI. Elle vise à refléter la valeur d’un actif de PI en fonction de l’avantage concurrentiel qu’il est censé conférer.

Fixer ou négocier une redevance équitable est un exercice complexe à l’égard duquel on devrait envisager d’obtenir les conseils d’un professionnel en PI.

Il existe trois méthodes de base pour évaluer un actif de PI : la méthode d’évaluation au prix coûtant, la méthode d’évaluation à la valeur du marché et la méthode d’évaluation fondée sur le revenu. La méthode d’évaluation au prix coûtant est fondée sur l’hypothèse que le coût d’acquisition ou de développement d’un nouvel actif de PI équivalent concorde avec la valeur économique que l’actif de PI faisant l’objet de la licence peut apporter. Cette méthode évalue par conséquent la valeur selon le coût du remplacement de l’actif de PI par un équivalent. En revanche, la méthode d’évaluation à la valeur du marché fixe un prix en fonction du prix des actifs de PI similaires disponibles sur le marché, en supposant que de tels actifs de PI comparables existent. Enfin, la méthode d’évaluation fondée sur le revenu est axée sur les avantages prévus de l’intégration de l’actif de PI dans un produit, un service ou un procédé. En plus des méthodes susmentionnées, des méthodes quantitatives et qualitatives plus poussées sont utilisées pour évaluer les actifs de PI.

Tous les actifs de PI ne naissent pas égaux. L’exercice d’évaluation doit être adapté à l’actif de PI donné faisant l’objet d’une licence, qui peut être technique (p. ex. brevet, droit d’auteur relatif à un code logiciel), créatif (p. ex. droit d’auteur), opérationnel (p. ex. savoir-faire, secret commercial) ou réputationnel (p. ex. marque de commerce).

Le juste prix

Une question subsiste : combien? Fixer un prix implique d’évaluer la valeur que le créateur offre par rapport au risque et au niveau d’investissement que le titulaire de licence doit assumer (p. ex. en matière de recherche et de développement ou de promotion) afin d’intégrer l’actif de PI dans un produit, un service ou un procédé viable sur le plan commercial. Plus l’investissement du titulaire de licence est élevé, plus la part des récompenses qu’il cherchera à obtenir sera grande.

La valeur est nécessairement liée à l’actif de PI donné visé par la licence. Différents types d’actifs de PI partagent des aspects communs, notamment sur le plan de leur durée de vie (ou période de validité) et du nombre de juridictions/territoires dans lesquels ils peuvent être utilisés et protégés. Mais ils soulèvent également des considérations distinctes. Par exemple, il importe si un brevet donné est susceptible d’être invalidé par un tribunal, ce qui fait en sorte que les brevets qui ont survécu à des litiges contre des concurrents peuvent être perçus comme étant « plus solides » et, par conséquent, de plus grande valeur. La qualité des caractéristiques techniques d’un brevet est également importante, particulièrement si des concurrents peuvent facilement contourner le brevet et si le brevet peut servir de fondement pour des demandes de brevet futures qui pourraient prolonger les droits d’exclusivité du propriétaire. D’un autre côté, les marques de commerce qui sont déposées et qui sont bien connues des consommateurs revêtent généralement une valeur plus élevée que les marques non déposées et moins connues. Leur valeur peut également dépendre de leur niveau d’exclusivité ainsi que de l’éventail de catégories de produits et de services à l’égard duquel elles peuvent être utilisées.

Le prix d’une redevance est également fonction de l’étendue des droits octroyés dans le cadre de l’offre de redevance. On peut accroître la valeur en offrant des avantages additionnels allant plus loin que le droit d’exploiter l’actif de PI. Par exemple, on pourrait permettre aux titulaires de licence d’accorder l’actif de PI en sous-licence, offrir du soutien technique ou acquitter les frais administratifs et/ou juridiques engagés pour maintenir ou pour protéger l’actif de PI.

Les questions de forme et de durée

La redevance elle-même peut prendre plusieurs formes (p. ex. un taux, des frais fixes ou une combinaison des deux). En effet, certains préfèrent que la redevance soit payée d’avance (en entier ou en plusieurs versements), avant toute utilisation commerciale, tandis que d’autres préfèrent peut-être que les paiements de redevance soient étalés au fil du temps et qu’ils soient liés à l’utilisation réelle de l’innovation accordée sous licence.

Établir la forme appropriée du paiement de redevance sera fonction de plusieurs facteurs, y compris vos besoins en matière de liquidités et la capacité de payer du tiers. Ici aussi, la nature de l’actif de PI visé aura une incidence pour au moins deux raisons.

En premier lieu, la nature de l’actif de PI importe pour déterminer si un taux ou un paiement forfaitaire convient le mieux. Un paiement forfaitaire pourrait être approprié dans certaines situations, notamment lorsque l’innovation accordée sous licence consiste en un savoir-faire (p. ex. données, information technique, procédés ou techniques). Mais établir un prix fixe à des stades précoces de développement comporte le risque de surestimer ou de sous-estimer la valeur de l’actif de PI accordé sous licence. Pour les innovations liées à des produits ou à des services particuliers, choisir un taux (p. ex. en fonction des ventes ou des profits bruts ou nets) peut donner lieu à une évaluation et à une distribution plus exactes de la valeur tirée d’une innovation. Certaines organisations, comme la Licensing Executives Society, fournissent de l’information pertinente sur les pratiques en matière d’octroi de licences dans divers secteurs d’activité.

En second lieu, la nature d’un actif de PI influe sur la période pendant laquelle un créateur peut tirer des revenus de son utilisation commerciale par un titulaire de licence. Lorsque les actifs de PI sont des secrets commerciaux, on peut éventuellement exiger des paiements de redevance tant et aussi longtemps que l’innovation est utilisée et que les secrets commerciaux demeurent secrets. Néanmoins, si l’actif de PI peut expirer ou être invalidé, on doit examiner plus attentivement la période sur laquelle les paiements sont exigés et ce qui arriverait si l’actif de PI accordé sous licence cessait d’exister et que l’innovation était copiée par d’autres concurrents.

Il n’y a pas de solution universelle

Quand vient le temps d’établir une redevance, plusieurs facteurs doivent être pris en compte. Des choix considérés appropriés pour un actif de PI pourraient ne pas s’appliquer à un autre. Et les ententes jugées équitables dans les débuts du processus de développement pourraient ne plus paraître ainsi lorsque l’innovation commercialisée dépasse les attentes ou ne se montre pas à la hauteur. C’est ce qui fait qu’il est si important de prendre au sérieux l’exercice de l’établissement de la redevance et de bien faire les choses.