Philippe Voyer est le fondateur de Subséquent, une startup de Québec qui simplifie la gestion des workflows en réduisant la friction technologique causée par la diversité des formats de fichiers échangés.

Depuis son intégration au programme d’incubation de Zú en 2023, Subséquent a connu une évolution remarquable, portée par le travail acharné de Philippe et l’accompagnement de ses trois mentors : Marc Petit, consultant indépendant, Dominic Audet, co-fondateur et chef de l’innovation chez Moment Factory et Mathieu Duffar, associé à BDC Capital.

Découvrez le parcours de Philippe et les mentors qui ont joué un rôle clé dans sa croissance entrepreneuriale.

 

  1. Quels sacrifices faut-il anticiper lorsqu’on choisit de devenir entrepreneur dans le secteur technologique ? Comment avez-vous personnellement géré ces sacrifices dans votre parcours ?

L’entrepreneuriat passe par des chemins ardus et sur la route, il y a certainement des sacrifices à faire pour continuer d’avancer. Après avoir fait le saut de la foi, on a souvent l’impression de marcher dans le vide et de devoir faire constamment face à des incertitudes, notamment : risques financiers, horaires atypiques, journées imprévisibles, effacement de la ligne entre travail et vie personnelle, fin de semaine et vacances morcelées, surcharge de travail, jongler avec trop d’assiettes en même temps, etc. Sans oublier que dans le secteur des technologies, tout va vraiment très vite et les industries créatives font face à de gros défis et sont en profonde transformation.

Tous ces éléments peuvent placer l’entrepreneur dans une spirale de stress et d’anxiété où il est difficile de maintenir son équilibre. Même si l’entrepreneur arrive à bien gérer la pression, il faut tout de même être conscient que le petit nuage de chaos qui le suit partout aura assurément de l’impact sur ses proches. Il faut donc accepter que la prise de risque qu’implique l’entrepreneuriat puisse mener à des sacrifices importants.

Mais bon… la principale raison pourquoi un entrepreneur s’expose à ces sacrifices, c’est parce qu’il croit profondément en sa vision et qu’il est convaincu qu’il est possible de la réaliser avec beaucoup de persévérance et un peu de chance. Pour ceux qui sont animés par cette flamme, le désir d’entreprendre et d’avoir un impact positif sur le monde doit être plus fort que le besoin de sécurité.

 

  1. À l’opposé, quelles ont été les plus grandes sources de satisfaction inattendues dans votre parcours d’entrepreneur ? Y a-t-il eu des moments ou des succès qui vous ont surpris par leur impact positif ?

Malgré les sacrifices, mes démarches entrepreneuriales ont été à la source de plusieurs éléments à impact positif. Par exemple, sur le plan personnel, cela m’a permis de repousser mes propres limites. Contrairement à la plupart des entrepreneurs, je ne suis pas particulièrement extravertie, mais l’entrepreneuriat me pousse constamment à sortir de ma zone de confort, à m’entraîner à bien communiquer, à écouter attentivement et à me mettre au diapason des gens. Ça m’a aussi permis de développer une bonne capacité à gérer le stress, l’anxiété et à rester calme même sous pression.

 

Une de mes plus grandes sources de satisfaction dans cette aventure est toutes les belles rencontres que j’ai faites dans le contexte de l’entrepreneuriat. Sur la route, j’ai rencontré des personnes extraordinaires qui partagent des passions et des défis similaires aux miens. J’ai largement étendu mon réseau de contacts, j’ai reçu beaucoup de rétroaction constructive de personnes avec des points de vue différents et je me suis même fait de nouveaux amis !

 

Étant de nature plutôt introvertie, un élément qui m’étonne un peu à chaque fois, c’est de réaliser à quel point j’ai une bonne capacité à convaincre. De ressentir ce moment précis où tu vois dans les yeux des gens qu’ils passent de l’indifférence à un certain intérêt envers ton histoire entrepreneuriale et qu’ils sont sur le point d’avoir envie d’embarquer pour y prendre part.

 

Finalement, je tire beaucoup de satisfaction à offrir mes compétences techniques pour aider les gens. Même si nous sommes des artisans de l’ombre qui travaillent à l’arrière-scène, il est très motivant de constater l’impact que l’on peut avoir sur la productivité de nos clients. Les projecteurs ne seront jamais sur nous, mais notre plus grande fierté est de voir les créateurs qu’on a aidés lancer des projets sur lesquels nous avons donné un coup de main.

 

  1. Quelles technologies émergentes auront, selon vous, le plus grand impact sur votre secteur dans les cinq prochaines années ?

Quand Subséquent a été fondé en 2020, les gens nous trouvaient plutôt illuminés lorsqu’on affirmait que l’intelligence artificielle générative allait bientôt bouleverser les industries créatives. Maintenant que ce type de technologie s’est démocratisé, il sera à mon humble avis très difficile pour les startups de croître dans ce marché, maintenant que les grands joueurs sont maintenant bien positionnés sur l’échiquier.

Ça peut sembler à contre-courant, mais je crois qu’aujourd’hui les startups gagneraient à moins mettre d’emphase sur l’IA dans leur pitch et plutôt mettre l’accent sur comment régler des problèmes de manière innovante en disant plus précisément quelles approche ou modèle ils utilisent dans leur produit. Il faut aussi prendre en compte l’impact énergétique de l’IA et être sensible à la perception négative et les craintes qu’elle provoque chez plusieurs personnes.

Selon nous, ce qui aura le plus d’impact sur les industries créatives, c’est de moderniser les techniques de production de contenu audiovisuel et interactif, qui n’ont pas tant évolué dans les dernières années malgré les nombreux avancements technologiques. Cela s’explique en partie par le quasi-monopole d’un petit nombre d’entreprises qui possèdent la grande majorité des logiciels utilisés dans les industries créatives et par le fait qu’il est difficile de changer les comportements de ses artisans.

Sinon, ce qu’il faut suivre avec attention à notre avis, c’est l’évolution des standards ouverts tels que le OpenUSD, qui fait l’objet d’un solide consensus et dont le développement se fait par une grande communauté soutenue par la collaboration étroite de plusieurs grands joueurs de l’industrie.

 

  1. Comment recrutez-vous vos employés ? Quelles qualités et compétences recherchez-vous particulièrement dans le contexte d’une entreprise technologique innovante ?

Chez Subséquent, nous avons la chance d’avoir une bonne capacité à trouver et mobiliser du talent. Jusqu’à maintenant, nous recrutons principalement dans notre réseau de contacts et parfois par l’entremise des services de placement universitaire.

Un bon conseil à partager avec tous les entrepreneurs est d’être proche des milieux académiques où se donne des cours spécialisés dans votre domaine. Essayez d’entretenir des relations avec les professeurs et ne manquez pas une occasion de participer à des activités où les étudiants peuvent être exposés à votre entreprise et des membres de l’équipe.

Pour ma part, c’est pratiquement un avantage injuste, mais avec cette approche j’ai accès à une source quasi inépuisable de nouveaux talents qui développent exactement les compétences que l’on recherche et qui sont intéressés par notre domaine. Notamment, parce que j’enseigne un cours de programmation graphique à l’Université Laval et chaque année, je vois passer environ une centaine d’étudiants parmi lesquels il y en a toujours quelques-uns qui ont beaucoup de potentiel. Je n’arrive même plus à compter tous mes anciens étudiants qui ont évolué vers de belles carrières dans les industries créatives et plusieurs sont devenus des collègues de travail et des amis.

Au niveau de ce que l’on recherche chez un candidat, le critère essentiel est de pouvoir démontré des compétences en programmation, soit par l’expérience ou des projets personnels. Le plus important pour nous, ce n’est pas tant l’expérience du candidat, mais plutôt son potentiel de développement.

Étonnamment, l’expérience m’a démontré qu’il est souvent plus difficile de travailler avec des programmeurs séniors dans un contexte d’innovation. Nous on préfère de loin donner une première chance à des jeunes programmeurs curieux, qui ont une soif d’apprendre intarissable et une mentalité de « hacker ».

Pour les compétences techniques, nous recherchons des programmeurs qui ont de l’expérience et/ou de l’intérêt pour les différentes technologies que l’on utilise pour développer notre produit. Par exemple, le cœur de la technologie est développé en Clojure, l’API en Elixir et les flux de travail des utilisateurs sont encodés dans notre propre DSL, qui est un dialecte de Lisp – les plus nerds remarqueront que ce sont tous des langages de programmation fonctionnelle ;).

Nous développons aussi des intégrations vers des moteurs de jeu, des logiciels d’animation et plusieurs autres outils numériques fréquemment utilisés dans les industries créatives, donc on s’intéresse aussi à tous ceux qui ont de l’expérience pratique avec ces technologies.

 

  1. Quel conseil donneriez-vous à ceux qui souhaitent non seulement se lancer en affaires, mais aussi développer une nouvelle solution technologique ?

D’abord il faut réaliser que votre vie ne sera plus un long fleuve tranquille, vous allez plonger dans l’incertitude et il y aura probablement plus de moments difficiles que de victoires.

Mon premier conseil est de prendre soin de vous, de votre santé physique et mentale en ayant une vie active et une alimentation saine. Malgré votre horaire qui deviendra assez chaotique, essayez de prévoir du temps chaque jour pour faire au moins un peu d’activité physique, ne pas sauter de repas et manger plein de légumes.

Ce qui fonctionne bien pour moi, c’est de prendre une longue marche en nature à la fin d’une journée de travail. C’est à ce moment que je mets de l’ordre dans mes idées et que je visualise mes prochaines actions. Je recommande aussi la course à pied qui est un excellent sport pour les gens pressés, avec beaucoup d’impact sur le corps et la réduction du stress.

Maintenant du point de vue technologique, j’ai plusieurs bons conseils à offrir :

Méfiez-vous des tendances à la mode, car si l’histoire nous a démontré quelque chose, c’est que la mode à tendance à changer, car les gens se lassent rapidement. Soyez attentif lorsque tout le monde regarde dans la même direction, car c’est probablement dans l’angle mort que se trouvent les meilleures opportunités pour les startups. Restez sensible aux signaux faibles et essayez de visualiser comment les choses vont évoluer en perspective dans le temps.

Au niveau de vos choix technologiques, essayez d’éviter autant que possible de tomber dans des entonnoirs. Les grands développeurs de technologies sont des spécialistes dans l’art de faire tomber les développeurs tellement creux dans leur entonnoir qu’il devient pratiquement impossible d’en sortir.

Dans le même ordre d’idée, soyez prudent avec les solutions de type LowCode/NoCode qui sont de plus en plus présentes sur le marché. Ces produits peuvent permettre de développer rapidement des prototypes, mais ayez toujours en tête un plan pour les remplacer le plus tôt possible par des solutions où vous aurez le plein contrôle sur votre propriété intellectuelle.

Finalement, il faut aimer ce que vous faites et être persévérant. En entrepreneuriat plus traditionnel, presque toute l’emphase est mise sur le problème à résoudre. C’est bien, mais j’ajouterais que dans les industries créatives, nous nous devons aussi de faire rêver en créant de belle chose qui rend le monde meilleur.